Philippe Adrien chorégraphie Le bizarre incident du chien pendant la nuit

Le bizarre incident A

Christopher est un jeune autiste de quinze ans, trois mois et trois jours exactement… Bouleversé par la mort violente du chien de sa voisine – il faut dire qu’il a été éventré par une fourche de jardinier, ce qui  n’est pas si courant -, il décide de mener des investigations poussées, jusqu’à ce que son enquête lui fasse découvrir les mystères qui entourent sa propre famille…

Très attachant, l’adolescent joue le rôle du naïf qui porte sur le monde des adultes un regard étonné et en perpétuel décalage. Il questionne les relations humaines avec la même acuité que lorsqu’il évoque l’univers, les trous noirs, l’éloignement des étoiles et la vie dans les navettes spatiales. Son regard d’enfant autiste devient poétique. Tandis que la plupart des gens assis dans un train constatent qu’il y a des prés et des bois qui défilent par la fenêtre et pensent en même temps au paquet de chips qu’ils aimeraient engloutir, lui observe vraiment, compte les vaches, les taches sur les vaches, le nombre des maisons, les sacs plastiques qui volettent le long des voies et les canettes oubliées.

Au fur et à mesure de la fable, son univers s’élargit et s’embrouille. Ses parents prennent une autre dimension ; ils deviennent des êtres complexes, fragiles, tourmentés, pleins de désirs et de violence. D’amour aussi. Car l’adolescent est un révélateur d’humanité. De l’humanité de ceux qui l’entourent.

Pour cette pièce, Philippe Adrien a mené un véritable travail de chorégraphe. C’est un vrai délice pour le spectateur de voir déambuler les personnages sur le plateau. Aux scènes réellement dansées succèdent des passages de théâtre minutieusement orchestrés. Chaque déplacement dans l’espace est pensé, étudié, planifié. La danse dessine parfois une autre dimension et fait pénétrer le spectateur dans l’univers de l’enfant autiste. Les personnages marchent alors au ralenti, articulent lentement, traversent la scène comme en dansant, saisis soudain d’une inquiétante étrangeté qui les éloigne de nos perceptions ordinaires. Ils disent la peur de l’adolescent face à la foule dans cette scène du métro très réussie : le métro arrive, les portes s’ouvrent, les gens sortent, d’autres entrent, le métro repart… et les comédiens dansent la violence de la cohue et l’agitation des anonymes qui déferlent sans cesse sur les quais souterrains, sans voir l’enfant effrayé qui en perdra son rat domestique.

Les comédiens sont excellents. Pierre Lefebvre, surtout, qui incarne le jeune Christopher, fascine par son aisance et la subtilité de son jeu. Le spectateur peut avoir l’impression, au début de la pièce, que son élocution est un peu forcée, et qu’il cherche un peu trop à parler comme on croit que les enfants parlent. Mais il parvient à faire entendre la prodigieuse intelligence de l’adolescent autiste et sa profonde vulnérabilité. Ses silences laissent entrevoir des abîmes de perplexité, d’incompréhension. Son corps est de plus en plus présent, reflétant l’angoisse qui étreint le personnage au fur et à mesure de ses découvertes. Pierre Lefebvre s’amuse, joue, danse, planté au milieu des carrés de lumière qui, au début de la pièce, disent son enfermement.

La lumière, en particulier au début de la pièce, est essentielle et très réussie. Elle dessine les territoires des personnages, les cerne, les enferme dans des formes géométriques emboîtées. Peut-être, dans la deuxième partie du spectacle, est-elle un peu trop systématique en revanche : les noirs complets se succèdent entre chaque saynète, créant une forme d’habitude qui court le risque de devenir un peu ennuyeuse. C’est que la seconde partie de la pièce est sans doute moins fascinante que la première. Elle se fonde moins sur le regard décalé de l’enfant autiste et joue davantage sur la métathéâtralité. L’enfant est sensé, pendant tout le spectacle, raconter dans un livre le déroulement de son enquête, poussé par l’une de ses professeurs, Siobhan, qui veut même en faire une pièce de théâtre. Le principe est intéressant et fait écho au spectacle en lui-même, adaptation par Simon Stephens d’un roman de Mark Haddon. L’entremêlement de la voix narrative, qui prend en charge l’intrigue de la pièce, et les passages réellement incarnés, est souvent jouissif et permet de mettre à distance les émotions qui traversent les personnages. Malheureusement, les interventions métathéâtrales se font un peu moins délicates dans la seconde partie du spectacle et les ruptures avec l’illusion théâtrale, interpelant directement les spectateurs, s’approchent davantage du sketch que d’un subtil jeu sur l’absurde. C’est peut-être le seul reproche que l’on pourrait faire à la pièce qui, s’achevant sur un happy end un peu attendu, manque in fine des failles qui font encore songer le spectateur une fois qu’il a quitté la salle. Qu’importe. Le plaisir du spectacle demeure malgré tout et le ballet astucieux et imprévisible des comédiens reste en mémoire longtemps après.

Le bizarre Incident du chien pendant la nuit, adaptation de Simon Stephens d’après le roman de Mark Addon

Mise en scène de Philippe Adrien

Représentation du mercredi 16 septembre 2015 au théâtre de la Tempête.

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