« Je me souviendrai toujours… Après l’intervention, la première chose qu’il a faite, quand je suis rentrée à la maison, c’est poser sa main sur ma cicatrice. Et ce qui était vide, tout cabossé, tout balafré, il me l’a tout embrassé. Et moi, comme une toute petite fille, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. »
C’est une vieille femme qui parle, incarnée par Josée Schuller, dont la belle et puissante voix semble revenir d’outre-tombe. Elle raconte. Parle de sa maladie, le cancer. Non. Ne parle pas tant de sa maladie que de ce qu’elle lui a révélé sur l’amour de ses proches. Et tout le spectacle de Vincent Ecrepont est ainsi : il fait entendre les mots de ceux qui ont frôlé la mort ou qui vont bientôt la rencontrer, ceux dont les corps sont fragilisés, abîmés, réifiés, oubliés par la maladie, mais jamais la pièce ne suscite l’accablement chez le spectateur. Parce que l’intensité de la vie – et celle des mots – est la plus forte : elle vient consoler et rassurer sur l’humanité de chacun. « J’ai bien vécu, vous savez, alors je voudrais bien, je voudrais bien mourir, enfin mourir bien », murmure un vieil homme…
Fondée sur les témoignages de patients de l’hôpital d’Amiens, la pièce est incarnée par cinq comédiens. Hommes et femmes. Jeunes et moins jeunes. Tous parlent de la mort, de la maladie, sans concession, mais avec beaucoup de distance et d’humour, souvent. La vie est toujours là, en arrière-plan, célébrée plus que jamais, au moment où elle est la plus fragile. « Très sincèrement, je me fous de savoir s’il me reste douze ou deux ans à vivre. Il me reste des instants à vivre, voilà tout, des instants qui, les uns après les autres, formeront peut-être des années. Combien, peu importe, mais comment, ça, ça m’importe », clame la vieille dame.
Alors que les mots exposent la violence de la maladie, la douleur et la soif de vivre, les corps des comédiens s’animent en arrière-plan, évoluent, s’effondrent, se redressent, se plient, attendent, se portent, s’écoutent et se regardent intensément. La petite scène des Déchargeurs s’oublie : on ne voit plus, entre les barres métalliques qui constituent le seul décor et font penser à des instruments hospitaliers – déambulateurs, rampes de couloir, scanners, présentoirs à perruques… – , que des êtres humains qui dansent pour dire l’espoir, l’amour et la beauté. Le spectateur quitte la salle songeur et un peu plus pressé de vivre qu’à l’ordinaire.
La Chambre 100 de Vincent Ecrepont.
Mise en scène : Vincent Ecrepont.
Représentation du mercredi 22 mars au Théâtre des Déchargeurs.