Cécile Backès fait de Vaterland de Jean-Paul Wenzel le récit de l’Allemagne entière

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Plusieurs temporalités se mêlent dans le récit de Jean-Paul Wenzel mis en scène par Cécile Backès, Vaterland, le pays du père. 1945, Saint-Etienne, Baden-Baden, 1982, Hamburg, Frankfort, Wuppertal (la ville de Pina Bausch). On pourrait craindre que ce dédoublement temporel soit artificiel. Il suffit cependant de s’être un peu promené en Allemagne – et surtout à Berlin – pour savoir que les traces de l’Histoire y coexistent étroitement, et que la Seconde Guerre mondiale comme la scission entre l’Est et l’Ouest ont laissé de lourds souvenirs entretenus dans la mémoire collective.

L’intrigue principale tourne autour d’un personnage, Wilhelm Klutz, soldat allemand basé à Saint-Etienne qui, un soir, par accident, tue un Français et endosse son identité pour cacher sa désertion. Le frère de sa victime, Henri Duteil, le poursuit dans les villes allemandes de l’immédiate après-guerre, tandis que son propre fils, Jean, se lance, des années plus tard, à sa recherche. C’est la musique du fils, devenu membre d’un groupe de rock (et il faut saluer la grande puissance scénique et le talent de musicien de Nathan Gabily, qui incarne le personnage), qui unit les deux temporalités. Rien de factice dans le passage d’une époque à une autre. La guitare électrique accompagne l’intrigue, la souligne, la nourrit. Des vidéos sont projetées sur de grands écrans. Elles ne sont pas purement illustratives. Leur flou dessine les atmosphères tout en laissant l’imagination du public en retracer les contours.

Le texte est bien écrit. Quelques mots suffisent pour dire les décombres d’après guerre à Baden-Baden, la modernité décadente à Hamburg, la méfiance des douaniers de la RDA. La pièce est uniquement narrative : les personnages viennent expliquer, comme dans un récit à plusieurs points de vue, leur histoire. On peut avoir l’impression, parfois, que la mise en scène illustre un peu trop le texte, se fonde trop sur une forme de mimétisme. On ne peut cependant guère faire autrement avec une telle pièce : elle laisse peu d’interstices, peu d’espaces d’invention. Dans une pièce dialoguée, c’est au spectateur d’interpréter les intentions des personnages ; une pièce narrative, elle, dit tout, pénètre dans l’intériorité des personnage et ne permet pas réellement que l’on s’interroge sur eux. Reste que la metteuse en scène est capable de créer des atmosphères assez réussies. Elle rejoint en cela l’auteur : le carnaval à Hamburg, la  fête foraine à Baden-Baden, la boîte inquiétante en RDA sont esquissés avec peu de moyens mais beaucoup de puissance d’évocation.

La fin de la pièce est un peu décevante. La quête du personnage disparu semblait profonde, presque métaphysique, mais elle devient, in fine, anecdotique : le fils, sans que l’on comprenne vraiment comment il a retrouvé son père, s’apprête à le rencontrer et exprime son trac. Il perd alors un peu de sa densité.

C’est peut-être parce que, au fond, Vaterland raconte l’histoire d’un pays, beaucoup plus que celle d’un père. Le récit de la vie de Wilhelm Klutz importe peu, finalement.  Le vrai sujet de la pièce, c’est l’Allemagne, la guerre, la mort, les ruines, la reconstruction, l’Est et l’Ouest, la mémoire, l’oubli, la transmission du souvenir.

Vaterland, le pays du père, de Jean-Paul Wenzel, avec la collaboration de Bernard Bloch.

Mise en scène : Cécile Backès.

Représentation du mercredi 12 mars 2014.

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3 réponses à “Cécile Backès fait de Vaterland de Jean-Paul Wenzel le récit de l’Allemagne entière

  1. J’avais vu la première mouture, avec Jean-Paul Wenzel, Bernard Bloch, Francis Freyburger… (que les autres m’excusent), j’avais le souvenir d’une pièce métaphysique sur la recherche des origines, la mère patrie (le pays : mère et père aussi, mère et père de la socialité, du vivre ensemble, comme on dit maintenant… avec l’exil comme contraire, comme manque terrible, punition quasi-mortelle, disparue des peines judiciaires)…
    J’ai vu là une enquête de type policière, « mais où-t-il passé ? je fais ci, je fais ça… » pour le retrouver.
    Bon. Il se peut aussi que le souvenir enjolive les choses… Ceci dit, c’est un spectacle agréable, qui emporte…
    Sur un thème à mon sens semblable, Bernard Sobel avait mis en scène « la pierre » de Marius Von Mayenburg en 2010 : Une maison prise aux juifs sous le nazisme, puis fuie par ses propriétaires sous le communisme et récupérée par d’autres est revendiquée après la chute du communisme en 1989 par les familles des occupants et propriétaires juifs et par les propriétaires allemands ayant fui le communisme, tous allemands ou descendants d’Allemands, il vaut mieux le dire. La superposition des périodes était marquée par des néons suspendus et qui s’allumant d’une certaine façon faisaient apparaître les chiffres des années, ce qui était assez ridicule.
    Ici, rien de tel, ce qui est exposé l’ai convenablement, avec précision et justesse, c’est juste que l’on ne voit guère que l’anecdote, qu’elle semble clouée aux planches et ne parvient pas à décoller,

    • Il est vrai qu’il y a, parfois, quelque chose d’anecdotique dans les quêtes parallèles des personnages… mais j’ai eu l’impression que c’était surtout le cas à la toute fin, lorsque le fils, Jean, indique qu’il a retrouvé son père et qu’il a le trac. Les spectateurs n’ont d’ailleurs pas immédiatement compris que la pièce était finie et il y a eu un petit moment d’hésitation avant les applaudissements… Je me suis rendu compte, ensuite, en rêvant autour du spectacle, que ce qui m’avait marquée n’était pas le destin individuel des personnages, mais bien plutôt l’univers dans lequel ils évoluaient, très bien dessiné par le texte de Jean-Pierre Wenzel et souligné, dans la mise en scène, par la guitare électrique, le chant et les projections video.

  2. Bonjour, j’ai récemment assisté à la toute dernière représentation de ce spectacle mais je n’ai pas réussi à rentrer dans le spectacle, qui m’a semblé confus en plus d’être trop narratif (pour reprendre votre terme). Je partage votre point de vue sur la fin, que ‘ai trouvée bien abrupte et effectivement décevante par rapport à tous ces méandres empruntés par la narration. Je suis cependant resté admiratif devant la capacité de Nathan Gabily (qui joue de la basse pour l’anecdote…) à pleurer sur commande pour cette fin abrupte, et le voir reprendre son souffle avant de venir saluer le public m’a bien marqué. J’ai comme laissé une critique plus « complète » sur mon blog.
    Salutations
    PS: Bravo pour vos élégants visuels

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