Te craindre en ton absence aux Bouffes du Nord, un opéra désincarné

Te craindre en ton absence1

Pour la première fois, Marie NDiaye s’est attachée à écrire dans la perspective d’un spectacle musical – d’un monodrame, plus précisément, nous indique-t-on dans la brochure.  Son texte est constitué par le long monologue d’une femme qui transporte les cendres de sa soeur pour les amener à sa mère, recluse dans une maison de retraite. On y retrouve les qualités habituelles de l’écrivaine. Sa capacité à décrire, en quelques mots seulement, un univers entier. On croit saisir toute la grisaille désespérée de la Beauce dans ces quelques vers : « La route avance toute droite entre blés maïs avoine betterave / à sucre / et les riches cathédrales des silos de béton / et les nuées sont lourdes et noires dans cette contrée de labeur / le ciel trop ample sur la terre travaillée ». La faculté qu’elle a de pénétrer au plus profond des pensées des personnages tout en refusant l’excès d’émotion :  « Et tout est bien enclos dans mon coeur qui ne s’épanche pas / ne se livre jamais » constate le personnage après s’être pourtant longtemps exprimé.

La musique d’Hector Parra, protéiforme, accompagne au plus près le livret. Les instruments deviennent percussions. Les grincements des archets, les coups sur le bois des violons, les sifflements du basson dessinent parfois, fugitivement, les bruits que font « les pigeons ramiers les poules dans leur enclos / et les pauvres lapins clapiers étroits » décrits par Marie N’Diaye. La musique joue habilement du silence, laisse toute la place à la comédienne à certains moments, puis se gonfle et emporte tout.

Malgré la qualité du livret et de la musique, le spectacle ne se tient pas complètement. C’est peut-être qu’au fond, seuls le chant ou la danse pourraient réellement unir les deux modes d’expression. Astrid Bas, la comédienne qui incarne le personnage principal, amorce des mouvements chorégraphiés et psalmodie son texte, mais on rêverait, parfois, que les gestes soient poursuivis par une danseuse, ou que la litanie des mots soit prise en charge par une chanteuse. Astrid Bas s’exprime souvent par cris, voulant souligner la tragédie qui traverse le texte. La sonorisation convient mal à ce genre de posture. Le micro est fait pour créer une intimité, une douceur. Il permet au moindre murmure d’être entendu. Il est moins utile lorsqu’il ne sert qu’à souligner des cris qui pourraient exister sans lui. On en vient, à force, à oublier le texte de Marie NDiaye, pour se concentrer sur la musique, fascinante il est vrai.

La mise en scène de Georges Lavaudant ne permet pas de retenir réellement l’attention du spectateur. En 2012, sa mise en scène de La Cerisaie, sur une musique de Philippe Fénelon, à l’Opéra national de Paris, n’avait guère été plus réjouissante. L’orchestre, présent ici sur la scène même des Bouffes du Nord,  est séparé de la comédienne par une fine toile quasiment transparente sur laquelle des mots du livret sont régulièrement projetés – tic scénographique qui n’apporte pas grand-chose au sens du spectacle. Le décor est constitué d’un chemin de plumes blanches qui, selon les projections de lumière, figure une rivière, une route mouvante ou les vitraux d’une église. Les plumes évoquent à la fois les « bêtes naïves » égorgées et plumées par la narratrice autrefois et, peut-être, les anges de la mort. Symbolique, le décor ne sert pas pour autant réellement la mise en scène. La comédienne se déplace, s’assoit dans un coin, dans un autre, balaye quelques plumes, en saisit quelques autres, mais on ne parvient pas à s’attacher réellement à l’histoire qu’elle raconte. La femme promenant les cendres de sa soeur morte n’est jamais véritablement sur scène et on ne peut s’empêcher de le regretter.

Te craindre en ton absence de Marie NDiaye (livret) et Hector Parra (musique)

Metteur en scène : Georges Lavaudant.

Directeur musical : Julien Leroy.

Représentation du vendredi 7 mars au Théâtre des Bouffes du Nord.

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