Homme pour Homme de Brecht par Clément Poirée ou les excès de la farce

Homme pour Homme Poirée1

Homme pour homme est une pièce poétique et burlesque, qui s’interroge sur ce que c’est qu’un individu, ce que c’est que l’identité, ce que c’est aussi que la liberté. C’est l’histoire d’un pauvre docker, Galy Gay, parti acheter du poisson, mais qui se retrouve finalement soldat sous le nom d’un autre, tout cela pour rendre service à trois militaires qui cherchent un quatrième homme. La pièce peut se lire comme un conte, une fable grinçante, qui montre que la liberté, c’est le fait d’exister pour soi, en dehors des attentes des autres.

L’histoire, qui a une portée philosophique, est cependant noyée par une mise en scène si farcesque qu’elle en devient outrancière. Certes, la distanciation chère à Brecht implique que l’on s’éloigne du réalisme, que l’on s’adresse directement au public, que l’on rompe toute illusion théâtrale. Tout est cependant si excessif dans la mise en scène de Clément Poirée que l’on perd rapidement le propos de la pièce.

Les quatre soldats qui cherchent à pénétrer dans le temple au début de la pièce parlent trop vite, veulent à tout prix faire rire et en viennent à jouer faux. La faute en incombe à la direction d’acteurs. La veuve Begbick, cantinière affublée de faux seins monumentaux, joue trop de ses charmes : elle se démène, se trémousse, montre ses bas, tire la langue, mais ses attitudes plus que lascives mettent mal à l’aise. Certes, la pièce soulève la question de la virilité : le sergent qui poursuit les quatre soldats a des pulsions incontrôlées et en vient à se mutiler le sexe pour se punir. La grivoiserie de la mise en scène empêche cependant que l’on réfléchisse bien longtemps à ce que c’est qu’un homme, un soldat, un guerrier. La scène devient cabaret de troisième zone. Lorsque le combat commence, la veuve Begbick est assise, cuisses écartées, sur un canon qui semble bander à chaque fois qu’un coup part. Le public rit, gêné de ce symbolisme égrillard trop appuyé.

Laure Calamy, qui incarne à la fois la cantinière et la femme de Galy Gay, a pourtant beaucoup de talent. Lorsque, ayant revêtu les habits de la femme du docker, elle vient le chercher dans une taverne, le trouve habillé en soldat et voit qu’il nie absolument son passé, elle témoigne de son effarement avec beaucoup de justesse. Elle joue, pleine de retenue, ce que l’on a tous ressenti à un moment ou à un autre, l’effondrement intérieur que provoque la brusque découverte du fait que l’autre n’est pas celui que l’on croyait. L’absurdité de sa situation – qui peut faire rire – renvoie aussi à une expérience métaphysique, celle de la constatation de l’étrangeté de l’autre. Dès qu’elle quitte le rôle excessif dans lequel on l’a enfermée, Laure Calamy s’avère très intéressante. Redevenue veuve Begbick, elle chante à merveille un refrain mélancolique qui, là encore, résonne comme une leçon de vie : « A quoi bon retenir la vague / Qui se brise à tes pieds ? Si longtemps / Que tu restes au bord de l’eau, / Des vagues nouvelles viendront s’y briser ». Son chant constitue un moment de grâce au milieu du spectacle.

Thibaut Corrion, qui incarne Galy Gay, est, lui aussi, parfait dans le rôle du docker naïf et plein de bonne volonté. Investi de sa nouvelle fonction de soldat, il devient à la fin de la pièce beaucoup plus arrogant, comme si son changement de statut social avait profondément modifié son identité même. La délicatesse de son jeu, sa manière de jouer les benêts sans en rajouter, le rendent attachant et drôle. C’est sans doute là que se situe le vrai burlesque : quand il garde en même temps une part de poésie et qu’il est suffisamment fin pour ne pas tout masquer par le gros rire gras.

Un peu plus de silence et de mesure dans la mise en scène de Clément Poirée aurait permis de mieux faire entendre le texte, dont le fond est très grinçant. On ne reste, dans ce spectacle, qu’à la surface, et l’on devine qu’il y aurait beaucoup plus à penser si l’on pouvait entendre davantage les mots de Brecht.

Homme pour Homme de Bertolt Brecht.

Mise en scène : Clément Poirée.

Représentation du mercredi 29 janvier 2014 au Théâtre de la Tempête.

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