Re : Walden, contemplation numérique

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Re : Walden est une promenade qui va de la simple profération d’un texte du philosophe américain du XIXe siècle, Henry David Thoreau, à un jeu avec un dispositif numérique de plus en plus complexe. La réflexion de Thoreau sur l’espace et la nature – il retrace les deux ans et demi qu’il a passés à l’écart de tout, dans une cabane au bord du lac Walden – se double alors d’une réflexion implicite sur le temps et sur l’évolution des moyens d’expression au théâtre.

Au début du spectacle – créé au festival d’Avignon en 2013 -, trois jeunes comédiens sont assis à côté des six ou sept ordinateurs allumés et alignés sur l’avant-scène. Ils parlent sans forcer la voix tandis que les spectateurs pénètrent progressivement dans la salle en discutant. Naturels et détendus (Clara Chabalier et Victor Lenoble sont particulièrement à l’aise), ils s’emparent de la parole à tour de rôle, prononçant les mots de Thoreau en se corrigeant les uns les autres. Le texte, ainsi décomposé, a d’autant plus de poids : il semble créé en même temps qu’il est prononcé. On ne sait plus très bien si les comédiens se reprennent parce qu’ils font semblant d’avoir un trou de mémoire ou parce qu’ils cherchent à être au plus près de ce qu’ils ressentent au moment même où ils s’expriment. On éprouve une certaine sérénité à observer ces personnages qui ne dialoguent pas réellement, mais qui sont tous les trois concentrés sur la précision et la justesse des mots. Ce dispositif en trio pour dire le texte de Thoreau est signifiant. Le philosophe réfléchit sur la nécessité de vivre seul : il s’agit de vivre vraiment, de se trouver soi-même. Il n’y a jamais aussi bonne compagnie pour se connaître que la compagnie de la solitude, dit-il. Les trois comédiens ressassant leur texte sont unis dans cette solitude : ils ne s’adressent pas les uns aux autres, mais parlent chacun de ce que c’est que la liberté et l’homme dans la nature. La communion naît paradoxalement de l’éclatement de leur discours.

Cette manière simple de dire le texte se complique peu à peu. Les comédiens se lèvent, circulent dans l’espace. Leurs voix sont rapidement sonorisées et s’entremêlent avec des voix enregistrées qui répètent leur mots ou en amènent d’autres. Le fond de la scène est constitué d’un écran géant qui représente vraisemblablement le lac Walden à toutes les saisons. Les images évoluent en fonction de la rapidité avec laquelle le pianiste, Alexandros Markeas, appuie sur les touches. La fusion étroite entre la musique et les images de vastes paysages diffusées au mur est propice à la contemplation, et l’on oublie, pour un temps, les ordinateurs de l’avant-scène. Apparaît alors Jos Houben, qui incarne Henry David Thoreau lui-même et s’exprime en anglais. Les trois jeunes comédiens se chargent à tour de rôle de la traduction – tandis que le pianiste mime le dédoublement des langues en jouant simultanément sur deux pianos placés en angle droit.

Le spectacle n’est pas dénué d’humour. La traduction, parfois, précède les mots anglais, comme si la mécanique bien huilée du spectacle se mettait à dérailler – sans même que l’on s’en inquiète d’ailleurs. Jean-François Peyret, le metteur en scène (qui a beaucoup travaillé avec Jean Jourdheuil), prend parfois de la distance avec le moralisme de Thoreau. Les comédiens mangent des carambars sur scène et lisent les blagues – qui se révèlent être des maximes ou des formules issues de Walden ou la vie dans les bois. Le spectateur, qui s’attend à une plaisanterie un peu ratée se retrouve avec des mots mystérieux, détachés de leur contexte, un peu sentencieux parfois, inattendus toujours – ce qui provoque finalement le rire.

« je me réjouis de l’existence des hiboux. »

Le spectacle devient cependant, malgré cette distance parodique et la qualité du jeu des comédiens, un peu ennuyeux. Jean-François Peyret a cherché à intégrer dans son spectacle trop d’effets numériques. Les jeux métascripturaux sont artificiels et n’apportent pas beaucoup au spectacle : on voit un homme pêcher des phrases ou une femme parler tandis que derrière elle poussent des arbres numériques faits de mots. L’artifice ne touche pas, ne rend pas plus sensible. A la fin du spectacle apparaissent des personnages androïdes, les doubles des comédiens. Eux non plus ne fascinent guère un spectateur qui a l’habitude de voir au cinéma des effets spéciaux beaucoup plus impressionnants. On s’interroge sur les intentions du metteur en scène. A-t-il voulu montrer l’absence de liberté de l’homme ? L’artifice d’une démarche comme celle de Thoreau ?

Peut-être y a-t-il, d’un seul coup, trop d’informations numériques pour que l’on assimile leur sens. Peut-être est-ce ce que Jean-François Peyret veut faire ressentir. Mais on peut éprouver un certain agacement face à cette absence de sens immédiat – d’autant plus que le texte, lui, est saturé de sens et de morales appuyées. On se sent toujours plus intelligent lorsqu’un spectacle fait réfléchir sans chercher à être trop didactique. Les moments suscitant la rêverie sont plus intéressants, plus sensibles. Comme à la fin du spectacle, où les comédiens se cachent au fond du public et font entendre leur voix, sonorisée et très douce, tandis que l’on regarde l’eau frissonner sur l’écran géant du fond de la scène.

Re : Walden, d’après Walden ou la vie dans les bois d’Henry David Thoreau.

Conception : Jean-François Peyret.

Représentation du vendredi 31 janvier au Théâtre national de la Colline.

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