La Flûte enchantée de Robert Carsen à l’Opéra Bastille ou la fascination de la mort

La Flûte enchantée1

« Pour avoir une vie vraiment accomplie, il faut apprendre à bien aimer la mort », dit Robert Carsen en constatant que, dans La Flûte enchantée de Mozart, tous les personnages sont confrontés, de près ou de loin, à la question de la mort et du suicide. La mort est, de fait, très présente dans la scénographie de son spectacle. Trois fosses creusées dans la terre sont alignées sur toute la profondeur de la scène de l’Opéra Bastille. La fosse d’orchestre elle-même, entourée d’herbe, fait écho à ces tombes – comme si la musique, surnaturelle, surgissait des profondeurs de la terre. La magie, comme la mort, vient de la fosse, et ce sont les musiciens qui confient à Tamino et Papageno la flûte enchantée et les clochettes magiques.

Le dispositif scénographique est intéressant. La première partie de l’opéra montre l’extérieur des fosses ; la seconde partie semble se passer à l’intérieur même des tombes, sous la terre, avec les morts.  La lumière, particulièrement travaillée, tombe d’en haut, et est découpée de telle sorte que l’on croit qu’elle vient de l’ouverture des trois fosses.  Une toile descend souvent à l’avant-scène. On y voit l’image d’une forêt qui évolue au fur et à mesure de la pièce, et qui devient automnale puis hivernale. Le jeu des lumières lui confère parfois de la transparence et les chanteurs, situés derrière la toile, apparaissent comme en surimpression au milieu du paysage.

Le metteur en scène, même s’il a mis l’accent sur la mort, ne se prive pas de souligner l’humour de la pièce. Le spectre qui cherche, au milieu des tombes, à séduire Papageno, fait rire comme les funèbres personnages de Tim Burton. Mêlant, au milieu du spectacle, deux espaces, l’intérieur et l’extérieur de la fosse, Robert Carsen crée un jeu de scène comique. La reine de la nuit jette de l’eau dans une fosse avec un seau d’eau ; au même moment, Monostatos, qui se trouve à quelques mètre d’elles, reçoit de l’eau jetée des cintres. Ce dédoublement spatial, s’il fait rire, dit aussi quelque chose de la pièce, de cet entre-deux, entre la vie et la mort, entre l’angoisse et l’émerveillement, qu’est La Flûte enchantée. Un tel jeu avec la déconstruction de l’espace est cependant rare.  L’image de la forêt évolue très peu pendant le spectacle, et l’écran qui sert à la projeter est sans cesse baissé et remonté, selon les besoins de changements de décor. Le procédé, beaucoup trop systématique, provoque un peu d’ennui.

On se surprend de fait, pendant le spectacle, à attendre avec impatience les apparitions de l’oiseleur – qui introduit humour et vie dans un univers peu mobile. Robert Carsen, s’il est un bon directeur d’acteurs, a toujours du mal à donner du dynamisme au choeur. Très statiques, les chanteurs qui le constituent n’avancent toujours que d’un seul bloc, se figent en même temps, attendent tous ensemble, tous vêtus de la même couleur – et, ce qui n’arrange peut-être pas les choses ici, tous le visage voilé…

La direction de Philippe Jordan, très ciselée, permet de bien faire entendre les instruments, dont les sons se détachent les uns des autres avec beaucoup de délicatesse. Les choix de mise en scène se mettent parfois intelligemment au service de l’écoute de l’orchestre : on ne voit ainsi jamais Tamino faire mine de souffler dans sa flûte. Il se contente de brandir l’objet enchanté, tandis que, dans l’orchestre, le flûtiste fait surgir le son pur et cristallin de son instrument. Le spectateur y est d’autant plus attentif.

Les tempi choisis par Philippe Jordan mettent cependant parfois en danger les chanteurs. On perçoit parfois, au milieu d’un air virtuose, de petits décalages entre l’orchestre et les voix. La reine de la nuit (incarnée par  Sabine Devieilhe) est ainsi un peu fragilisée dans son fameux air. Il en est de même, parfois, pour Papageno (Daniel Schmutzhard). Pamina (Julia Kleiter), elle,  est remarquable de présence et d’aisance, au point d’éclipser un peu son sauveur, le courageux Tamino (Pavol Breslik). Les voix des trois jeunes garçons, très pures, s’entremêlent très joliment avec la sienne.

Peut-être est-ce en la métamorphose permanente de ces garçons que réside la plus grande trouvaille de Robert Carsen. A chaque apparition, ils sont vêtus différemment : tantôt jeunes joueurs de football en complet décalage avec l’univers éthéré et intemporel qui les entoure, ils sont parfois randonneurs chargés de sacs à dos comme celui de Papageno, voire jeunes filles habillées en robe blanche comme celle de Pamina. Personnages caméléons, ils se saisissent de l’identité de celui ou celle à qui ils s’adressent. Tandis que Sarastro ne cesse de chanter la supériorité des hommes sur les femmes, les trois jeunes garçons renversent son discours : leurs costumes interchangeables montrent avec bonheur que la raison ne dépend pas du genre de l’individu.

La Flûte enchantée de Mozart.

Direction musicale : Philippe Jordan.

Mise en scène : Robert Carsen.

Représentation du vendredi 14 mars 2014.

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