Metamorphosis de Bobee et Serebrennikov à Chaillot, une très belle scénographie

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Lorsqu’on pénètre dans la salle Jean Vilar, à Chaillot, on est saisi par le décor de Metamorphosis. Trois carcasses de voitures gisent sur la scène, au milieu des ordures et des sacs de plastique qui volètent, dans une brume qui a envahi tout l’espace.

David Bobee, en résidence à Chaillot, a travaillé avec les comédiens de la compagnie moscovite Studio 7, dirigée par Kirill Serebrennikov. Les deux metteurs en scène se sont inspirés des Métamorphoses d’Ovide pour présenter une vision désenchantée et apocalyptique de l’humanité.

Les seize comédiens de la compagnie incarnent, à tour de rôle, les personnages mythologiques décrits par l’auteur latin. La scénographie qui accompagne leurs récits (dont la traduction, en surtitrage, est malheureusement bourrée de fautes d’orthographe perturbant la lecture) est particulièrement réussie. Les effets numériques, travaillés par José Gherrak, sont très signifiants. Tandis que, réfugiés dans une voiture, deux comédiens racontent, lovés l’un contre l’autre, l’histoire incestueuse de Mirrha, tombée amoureuse de son propre père, on voit sur l’écran qui occupe le fond de scène leurs visages, agrandis puis déformés insensiblement, comme s’ils subissaient eux-mêmes une métamorphose qui disait le malaise de leurs propos.

La chorégraphie, orchestrée par DeLaVallet Bidiefono, laisse entrevoir de très belles images. Comme ce moment où, après avoir entendu l’histoire d’Icare, tous les comédiens grimpent sur la grille qui occupe le fond de scène et semblent, comme le personnage mythique, suspendus au-dessus du vide, détachés de tout poids terrestre.

On se laisse emporter, progressivement, par l’enchaînement des scènes, la beauté des trouvailles graphiques et l’énergie des comédiens, sans pour autant parvenir à conférer un sens général au spectacle. La scénographie, résolument moderne, ne réussit pas complètement à faire dire aux comédiens quelque chose sur notre société. On perçoit, parfois, quelques éclats de réflexion sur le monde contemporain, mais c’est assez rare. Orphée, allant chercher aux enfers son Eurydice, déclare d’un seul coup qu’il vaut mieux qu’il se retourne afin de faire partir l’autre, d’accepter la mort. Il s’inquiète du monde d’aujourd’hui, où l’on ne peut plus mourir, où les images de l’autre demeurent longtemps sur la toile, où l’on ne peut plus l’oublier.

La plus grande maladresse du spectacle vient peut-être des choix dramaturgiques. On aurait voulu que le texte qui entoure les récits mythologiques fasse davantage le lien avec la société contemporaine. Le texte de Valery Pecheykin apporte peu aux Métamorphoses, et les références culturelles ne sont pas précisément originales. L’histoire de Sisyphe, par exemple, est immédiatement accompagnée des célèbres mots d’Albert Camus, « il faut imaginer Sisyphe heureux ». Le début de la pièce est décevant. Un personnage indique qu’il est Ovide et brandit vaillamment une pancarte sur laquelle figure le mot « métamorphoses » : une telle démonstration n’est pas réellement utile. De même, les différents récits des personnages mythologiques sont encadrés par l’intervention récurrente d’une sorte de SDF, incarné par Nikita Kukushkin, qui indique qu’il est une « semi-créature » transformée par les dieux et qu’il souffre de cette demi-métamorphose. Plein d’une force presque surhumaine, il saute d’une carcasse de voiture à l’autre, bondit dans la salle et manifeste sa souffrance de façon excessive – reste de l’enseignement de la méthode Stanislavski ?

L’excès ne fonctionne pas toujours pour dénoncer.  Les gestes accompagnent trop souvent de façon illustrative le texte en lui-même. Tandis que l’on raconte le dépècement d’Orphée par les Bacchantes, les comédiens renversent des seaux de peinture rouge sur le comédien qui l’incarne. Peut-être aurait-il fallu faire silence à ce moment-là et laisser toute leur place aux gestes. David Bobee semble s’être inspiré d’un ballet d’Angelin Preljocaj, Le Songe de Médée (créé pour L’Opéra national de Paris en 2004) : la magicienne, pour tuer ses enfants, les recouvrait brusquement de peinture rouge au milieu d’un silence glaçant, comme si le temps s’était arrêté au moment du crime impensable. Ici, la superposition des mots criés et des gestes ne fait pas saisir l’horreur ; le spectateur reste tranquillement installé dans son fauteuil et rentrera chez lui, ensuite, l’esprit serein.

L’un des moments les plus frappants du spectacle est justement muet. Un homme et une femme arrivent de chaque côté de la scène, font face au public et se déshabillent lentement. Ils échangent ensuite leur place et revêtent les habits de l’autre, la femme dans le costume de l’homme, l’homme dans la longue robe de soirée de la femme. La métamorphose, silencieuse, fait songer sur le genre. En rupture radicale avec la violence exprimée dans les autres histoires, elle constitue un moment de grâce.

On se laisse entraîner dans ce spectacle, surtout remarquable par sa scénographie impressionnante, mais on ne parvient pas à retrouver la force du mythe, dont le rôle est de parler de tous à tous. La plupart du temps, le spectacle reste spectacle et le spectateur spectateur. Pas de métamorphose de ce point de vue.

Métamorphosis, d’après Ovide.

Mise en scène : David Bobee et Kirill Sebrennikov.

Représentation du vendredi 21 mars 2014 (Première).

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