Les jeunes chanteurs de l’atelier lyrique, mis en scène par Christophe Perton, ont donné à voir, du 22 au 31 mars 2014, un Don Giovanni sur la scène de la MC93. Les spectacles de l’atelier lyrique sont souvent de qualité – les metteurs en scène étant soigneusement choisis par Christian Schirm (directeur de l’atelier). On se souvient notamment de la très belle mise en scène d’Orphée et Eurydice par Dominique Pitoiset en 2011. La lecture de Don Giovanni par Christophe Perton, cette fois-ci, n’est cependant pas complètement convaincante. On y rencontre de belles trouvailles, mais aussi des lourdeurs et des maladresses.
Le metteur en scène a choisi d’insister sur la question du temps : la vie de Don Giovanni sera marquée, dès le début de l’opéra, par un compte à rebours qui le mènera jusqu’à la mort. Lors de l’affrontement avec le père de Donna Anna, Don Giovanni se blesse visiblement ; sa chemise est tachée de rouge et il porte une plaie au flanc. L’idée n’est pas mauvaise : le temps presse désormais pour le libertin qui, conscient de sa mort prochaine, n’aura de cesse de poursuivre toutes les femmes qu’il croise dans une urgence proche de l’aveuglement. Cette invention de mise en scène rejoint certaines remarques du livret : Leporello, retrouvant son maître debout près du corps inerte du Commandeur, lui demande plaisamment lequel des deux a succombé. La blessure que porte Don Giovanni au côté rend cette remarque particulièrement pertinente.
Les récitatifs accompagnés au clavecin insistent, eux aussi, sur la question du temps. Régulièrement, l’accompagnement se simplifie au point d’imiter le tic tac d’une horloge opiniâtre (et, clin d’oeil amusant au public, Don Giovanni compte les minutes, « vinti munuti », lorsque vient le moment de l’entracte).
Si la présence du clavecin sur scène, marquant le temps, imprimant un tempo inquiétant jusqu’à la mort, a un sens et permet d’éclairer les agissements erratiques de Don Giovanni, on est en revanche peu convaincu par le déguisement du claveciniste, qui poudré, perruqué et vêtu comme on l’était au XVIIIe siècle, est censé incarner Mozart en personne. L’artifice est trop facile et trop usé pour être signifiant. L’ouverture de l’opéra est en outre précédée par la projection d’une lettre de Mozart à Da Ponte : le compositeur indique à son librettiste qu’il va bientôt mourir et qu’il n’a pas eu le temps de montrer toute l’étendue de son talent. Un parallèle peu habile se fait alors, dans l’esprit du spectateur, entre la mort de Mozart et celle de Don Giovanni. Au moment de mourir, Don Juan à l’agonie plonge son regard dans celui du claveciniste travesti et expire : la scène, un peu ridicule, manque franchement de subtilité. D’autres metteurs en scène ont parfois joué de la présence des musiciens sur scène. Il suffit de songer à Christoph Marthaler qui, dans Les Noces de Figaro (monté à l’Opéra de Paris en 2006), faisait intervenir régulièrement un « récitativiste », Jürg Kienberger. Ce dernier se promenait nonchalamment sur le plateau et jouait du glasharmonica comme du synthétiseur avec les allures d’un technicien consciencieux et indifférent à ce qui se jouait autour de lui. La tension de ce qui était vécu par les personnages qui l’entouraient était d’autant plus palpable.
Ici, les personnages n’ont pas, dans l’ensemble, de réelle profondeur. Christophe Perton ne tire pas suffisamment parti de la complexité que le livret peut leur offrir. La jeune Zerlina – séduite peu de temps auparavant par Don Giovanni – promet à son mari, pour le consoler, des remèdes que l’on ne trouve pas en pharmacie ; Adriana Gonzalez, qui l’incarne, lui donne cependant une allure extrêmement réservée, à tel point que l’on se demande si le metteur en scène a saisi la sensualité de la proposition. D’autres passages, malgré tout, sont mieux analysés. Comme celui où Donna Elvira, déchirée entre la fureur qu’elle éprouve contre Don Giovanni, qui l’a abandonnée, et la pitié, chante son tourment, à moitié revêtue de la veste de son séducteur. L’image est belle : le bras qu’elle glisse dans la veste de son ancien amant est comme la résurgence de son amour au milieu de sa rage. Elle dit, avec le corps, la difficulté qu’il y a de vivre dans l’absence de l’autre.
La mise en scène manque peut-être d’invention, de prise de risque. La scénographie aussi. Le lieu – une piscine entourée, de part et d’autre de la scène, par des cabines – se prête bien à l’intrigue et permet de régler des entrées et des sorties parfois savoureuses. Le caractère froid et impersonnel du décor, créé par Malgorzata Szczesniak (qui travaille régulièrement pour Krzysztof Warlikowski), fait d’ailleurs songer à la très belle scénographie du Don Giovanni créé par Peter Haneke à l’Opéra Bastille en 2006 (les années Mortier étaient décidément bien fertiles…). Les projections vidéo qui recouvrent ses murs ne sont cependant pas très inventives et gâchent l’effet d’ensemble. Des croix se dessinent ainsi sur le mur au fur et à mesure que la statue du commandeur s’anime : belle trouvaille pour indiquer que la mort approche… Derrière les portes des cabines de la piscine se trouvent des mannequins en plastique. Là encore, l’idée n’est pas précisément originale pour signifier la réification des femmes manipulées par Don Giovanni. Seul moment de grâce, celui où une danseuse, vêtue d’un justaucorps blanc et le visage couvert d’un masque impassible, vient se mouvoir comme un mannequin brusquement animé, pleine de souplesse et de raideur mécanique.
La distribution des chanteurs elle-même est inégale. Donna Anna est magistralement interprétée par Olga Seliverstova. Sa voix puissante et sûre emporte tout. Don Giovanni, en revanche, incarné par Michal Partyka, semble beaucoup plus fragile, du moins lors de la représentation du 29 mars. Dans les duos, sa voix se perd, couverte par celle de ses compagnes, plus à l’aise. Le commandeur, Ugo Rabec, n’effraie pas grand-monde car on peine à percevoir sa voix au-dessus de l’orchestre. Le rythme choisi par le directeur musical, Alexandre Myrat, est peut-être trop rapide pour que les chanteurs se sentent tout à fait assurés. L’intimité que procure la salle de la MC93 rend malgré tout ce spectacle très appréciable pour les amateurs d’opéra.
Don Giovanni de Mozart et Da Ponte.
Direction musicale : Alexandre Myrat.
Mise en scène : Christophe Perton.
Représentation du samedi 29 mars 2014 à la MC93 (Bobigny).