Letzte Tage, ein Vorabend, de Marthaler : une pièce vitale à l’heure de la montée des extrêmes

Ein Vorabend Marthaler 1

Il est si facile de réprouver les extrémismes du passé qu’on en oublie, parfois, de dénoncer ceux qui, insidieusement, envahissent la pensée d’aujourd’hui. C’est ce que Marthaler montre de façon souveraine dans sa dernière pièce, conçue initialement pour être jouée dans l’ancien Parlement de Vienne.

On est horrifié lorsqu’on entend le discours antisémite du maire de Vienne à la fin du 19è siècle. La belle voix calme, douce, extrêmement posée du comédien qui profère ces propos contraste si violemment avec leur extrême violence… On est horrifié… mais on sourit aussi, satisfait. Tout cela est si loin. Un orateur à la tribune aujourd’hui ne pourrait plus prononcer de telles paroles.

Et puis on entend, comme un écho pestilentiel, les mots d’une élue d’un parti d’extrême-droite autrichien. Et puis on écoute les paroles d’un responsable politique hongrois. Aujourd’hui.

Et on se glace.

Entre les discours nauséabonds se glisse la musique, fine, délicate, d’un petit orchestre perdu dans les rangées de sièges du parlement. Il joue les derniers morceaux des compositeurs juifs qui ont été exterminés lors de la seconde guerre mondiale. L’humanité soumise, détruite, brisée, massacrée se fait soudain entendre, immortelle.

La musique prend de plus en plus de place dans le spectacle. Elle s’installe et étouffe la violence des discours. La représentation théâtrale se termine en concert. Le spectateur écoute… Il attend aussi. Il espère que les comédiens vont revenir, rejouer, redire la démence de l’extrémisme. Mais les comédiens restent immobiles, figés dans la même attente.

L’ennui apparaît. L’ennui est peut-être le principal acteur de la réflexion chez Marthaler. Ses pièces pourraient toujours être plus courtes. Il pourrait toujours supprimer une demi heure, une heure. Mais il ne le fait pas. Parce que l’ennui l’intéresse. C’est lui qui fait penser. Le tourbillon d’un spectacle fait naître l’oubli : il divertit. Malgré l’humour, le décalage, le burlesque, les spectacles de Marthaler ne divertissent pas. Leur subversion naît de l’attente que le spectateur comble en réfléchissant.

Marthaler va même jusqu’à mettre en scène la fuite de certains spectateurs. Lors de la deuxième partie de la représentation, la musique envahit la scène. Les comédiens sont assis dans les fauteuils du parlement. Ils fixent le public. Parfois, l’un d’entre eux quitte sa place pour se réinstaller ailleurs. Ceux qui partent, dans la salle, ne se rendent pas compte que leur départ même était prévu, et qu’il est joué en miroir sur scène. Ceux qui s’ennuient, mais qui cherchent à comprendre, sourient.

Mais leur sourire est un peu triste, malgré tout. Les spectateurs partent, parfois bruyamment, tandis que sur scène retentit la musique des compositeurs massacrés. L’hommage est foulé aux pieds. Et l’on comprend, juste en observant l’attitude variée du public, à quel point il est compliqué de fonder une société capable de réfléchir sur l’histoire, sur la brutalité, sur la violence de l’indifférence.

Le spectacle s’achève – comme souvent chez Marthaler – par la disparition progressive de la musique. Les comédiens entonnent un chant lancinant et s’éloignent dans les coulisses. Leurs voix se font entendre longtemps. Il y a toujours quelque chose de profondément émouvant dans le fait de percevoir encore, pour un temps, un chant très fragile. On sait qu’il va s’éteindre et on cherche à le prolonger quelques secondes en tendant l’oreille désespérément. L’instant a quelque chose de sacré.

Mais une spectatrice mécontente descend bruyamment l’escalier tandis que d’autres l’invectivent à voix basse.

C’est fini.

Les lumières de la salle se rallument.

Letzte Tage, ein Vorabend de Christoph Marthaler.

Mise en scène : Christoph Marthaler.

Direction musicale : Uli Fussenegger.

Représentation du samedi 28 septembre 2013 au Théâtre de la Ville.

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