Emouvants fragments d’un pays lointain. Lagarce ressuscité.

Fragments d'un pays lointain1

Une table d’écrivain. Des objets attendus. Un cendrier, quelques photographies, un téléphone gris à cadran rotatif, une machine à écrire, bien sûr, deux ou trois verres vides, l’un avec un reste de vin, des lettres, des livres – du Koltès, des pièces de Lagarce. Les couvertures bleues des Solitaires intempestifs un peu cornées, usées, trop lues, trop annotées peut-être. Le personnage principal, Louis – ou Jean-Luc Lagarce -, écrit.

La scénographie pourrait sembler, de premier abord, convenue… mais petit à petit, l’espace se creuse, s’allonge, jusqu’à laisser apparaître le fond de scène, vingt-cinq mètres plus loin. Les différentes strates de la vie de Louis – ce personnage qui décide de retourner voir sa famille pour lui annoncer sa mort prochaine – apparaissent ainsi visuellement. Ces strates, d’ailleurs, s’interpénètrent. Deux familles se superposent : la première, celle de l’enfance, du non-dit, de l’aigreur et de la gêne, du ressentiment et des sentiments inavoués, et l’autre, celle des êtres aimés, rencontrés, perdus, présents, oubliés, morts et vivants confondus.

La dramaturgie de Léo Cohen Paperman est particulièrement réussie. Il ajoute à la pièce de Lagarce des extraits du journal de l’écrivain et des chansons. La musique met à distance l’histoire et s’en joue (il faut ici souligner le talent de Sophie Van Everdingen, dont le chant est profondément émouvant). Le journal en accentue l’aspect tragique. Lagarce y décrit la violence des soins auxquels il est soumis, la douleur du malade qui n’est plus regardé par les soignants, le pressentiment de la mort. Ces brusques éclairages soulignent à quel point ce qui se dit dans la famille est insignifiant et brutal.

Et tout le monde se reconnaît dans cette famille. La nécessité de s’en éloigner. Les abîmes qui se créent. Le non-dit. Les rivalités implicites. Jusqu’aux disputes pour savoir qui raccompagnera l’autre à la gare. Comme si le moment du retour, de l’adieu, allait être essentiel. Comme si l’on ne s’était pas suffisamment parlé et que l’on espérait que l’on pourrait se dire les choses importantes, enfin, pendant le trajet, entre deux feux rouges. Comme si ce n’était pas déjà trop tard.

Les comédiens rendent magnifiquement cette violence et cette peine. Tous jouent avec naturel, sans fausse note. Tous sont incarnés. La direction d’acteurs est brillante. Jean-Pierre Garnier sait très bien gérer les déplacements et leur donner du sens. Au fur et à mesure de la pièce, Louis, incarné par Maxime le Gac Olanié, s’approche de plus en plus de son ancien amant (très touchant Makita Samba), vraisemblablement décédé à cause du sida, comme pour montrer que la mort ne va pas tarder à le faire disparaître, lui aussi. Les anciens amants de Louis sont parfois assis à la table familiale, comme pour souligner la distance qui les séparent de ceux qui lui reprochent son absence, comme pour incarner la vie nouvelle qu’il s’est choisie, loin d’eux, ailleurs.

On sort de cette pièce bouleversé. En deux heures, tout est dit, la famille, l’éloignement, l’amour, la vie, la maladie, la mort, et l’on respire de temps en temps, amenée par les déplacements des comédiens, l’odeur des fleurs coupées piétinées sur l’avant-scène – odeur qui nous rappelle que, nous aussi, nous allons mourir.

Fragments d’un pays lointain de Jean-Luc Lagarce.

Mise en scène : Jean-Pierre Garnier.

Dramaturgie : Léo Cohen Paperman

Représentation du dimanche 1er décembre au théâtre de la Tempête.

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